Henry Buzy-Cazaux : "Le patrimoine, ce n’est pas ce qu’on possède, c’est ce qu’on protège"
Figure reconnue du logement et président de l’IMSI (Institut du Management des Services Immobiliers), Henry Buzy-Cazaux défend une vision exigeante et engagée de la propriété. Pour lui, posséder un bien ne suffit plus : il faut le connaître, l’entretenir et le préparer aux défis climatiques et économiques. Dans un marché sous tension, il appelle à replacer la prévention et la durabilité au cœur de la valeur immobilière. Rencontre.
Vous évoquez souvent une « urgence patrimoniale ». En quoi le patrimoine immobilier est-il aujourd’hui menacé ?
Nous sommes face à une mutation majeure. La France compte 36 millions de logements, collectifs ou individuels, mais en vingt ans, nous n’avons pas accompli 5% du chemin vers la rénovation énergétique. Le retard est colossal. La loi pousse, les politiques publiques s’empilent, mais le mouvement reste lent, trop lent. Il ne s’agit plus seulement d’écologie ou d’énergie : il s’agit de patrimoine. De ce que nous laissons à nos enfants. On devient propriétaire en pensant à la transmission, à cette idée de continuité : mais transmettre, c’est aussi transmettre quelque chose de sain, pas un bien dégradé ou une dette énergétique. Les Français tiennent à la pierre. Mais aujourd’hui, aimer la pierre, c’est la rendre durable.
Les Français restent donc encore viscéralement attachés à la propriété ?
Oui. On dit parfois qu’ils préfèrent l’usage à la possession. C’est faux. L’immobilier reste leur assurance-vie, leur retraite, leur ancrage. Mais la propriété n’a de sens que si elle s’inscrit dans le temps long. Simplement, il faut la penser autrement : non plus comme un capital figé, mais comme un patrimoine vivant.
Vous parlez d’un lien direct entre climat, assurance et valeur patrimoniale.
Absolument. J’en ai assez d’entendre que le dérèglement climatique serait une lubie de technocrates ou de politiques hors sol. Les preuves sont concrètes, tangibles. Regardez les primes d’assurance : elles explosent. Le retrait-gonflement des argiles fissure des milliers de maisons, le trait de côte recule, les inondations, les incendies, les sécheresses s’enchaînent. C’est l’immobilier qui encaisse le choc climatique ! Et derrière chaque fissure, chaque mur humide, il y a une perte de valeur, un risque sanitaire, une inquiétude humaine. Les Français le vivent dans leur chair : protéger son patrimoine, c’est donc aussi s’adapter au climat. L’immobilier est devenu le miroir de nos vulnérabilités collectives.
Cette adaptation passe-t-elle d’abord par le diagnostic ?
Plus que jamais. Le diagnostic immobilier n’est plus un acte administratif. C’est un outil d’intelligence du bâti et une aide à la décision. Il raconte la santé d’un immeuble, il en révèle les faiblesses, il permet d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Le DPE, les repérages amiante ou plomb, l’État des risques... Chacun apporte une brique à cette lecture globale. Le diagnostiqueur, c’est un peu le médecin du bâtiment : il observe, analyse, alerte, conseille des actions correctives. Il doit pouvoir le faire avec de la hauteur de vue et la conscience des enjeux. Voilà l’objectif cardinal de sa formation, au-delà des considérations techniques.
Vous rendez prochainement un rapport sur la formation du métier de diagnostiqueur. Pourquoi est-ce si urgent ?
Valérie Létard m’a confié une mission sur la formation et la structuration du métier. Un enjeu essentiel : ces professionnels jouent un rôle décisif dans la santé du patrimoine immobilier français, et leurs compétences doivent être à la hauteur des défis techniques, juridiques et environnementaux qu’ils rencontrent. Aujourd’hui, la formation initiale est courte, souvent condensée. Elle ne permet pas toujours d’appréhender toute la complexité du bâti. Cela ne remet pas en cause la conscience professionnelle des diagnostiqueurs (qui est réelle) mais souligne la nécessité de leur donner davantage de moyens pour exercer leur mission dans la durée.
Je plaide pour des parcours plus structurés, reconnus par l’État : BTS, licences professionnelles, masters, passerelles pour les reconversions par la validation des acquis de l’expérience. Ces filières permettraient de consolider les savoirs techniques, mais aussi d’intégrer les dimensions économiques, juridiques, sanitaires et environnementales du métier.
Nous avons besoin de diagnostiqueurs de seconde génération : des experts capables de porter un regard global sur le bâtiment et d’échanger d’égal à égal avec les autres acteurs de la chaîne - architectes, notaires ou assureurs et bien sûr agents immobiliers, administrateurs de biens ou encore rénovateurs. C’est par la compétence et la reconnaissance de leur rôle que la profession continuera à se renforcer, pas seulement par le contrôle, mais par la formation.
Quelle place pour la profession demain ?
Pendant longtemps, le diagnostiqueur a été perçu comme un mal nécessaire, un acteur périphérique et parasite, imposé par les obligations réglementaires. C’est fini. Aujourd’hui, il est au cœur de la chaîne de valeur : il sécurise, il éclaire, il rassure. Il contribue à la santé publique et à la durabilité du patrimoine. Les métiers de l’immobilier doivent désormais le considérer comme un partenaire stratégique.
Un dernier mot sur la santé du marché immobilier.
Après avoir perdu un tiers de son volume en deux ans, le marché de l’ancien a repris des couleurs en 2025, grâce à des taux d’intérêt redevenus digestes, des banques plus enclines à prêter et des prix assagis, mais il n’a pas récupéré sa vigueur. En particulier, les investisseurs locatifs sont deux fois moins nombreux. Le neuf est encore plus éprouvé : notre production résidentielle a baissé de 40% et les investisseurs ont disparu.
Le logement est devenu un bien rare, inaccessible à une grande partie de la population, alors qu’il devait être un bien commun. Cette crise a néanmoins un mérite. Elle révèle nos contradictions. On a laissé accroire pendant près de vingt ans que l’immobilier ne pouvait que monter. Or une vérité économique s’impose : la valeur a pour limite la solvabilité des ménages et elle dépend aussi de la qualité technique des biens. Un logement qui n’est pas entretenu, rénové, adapté, perd de sa valeur.
On assiste à la fin d’un cycle spéculatif et sans doute au début d’un cycle de responsabilité. Les diagnostiqueurs n’y sont pas pour rien.

